CES FEMMES AUX DEUX VISAGES :
LES PERVERSES NARCISSIQUES
ENTRETIEN MENÉ AUPRÈS D'ÉRIC BÉNEVAUT - PSYCHANALYSTE
« La perversion agrémentée de narcissisme : le tout au féminin… Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire sur cette thématique qui est beaucoup plus fréquemment abordée sur et non sous une forme masculine ? Est-ce un fait nouveau ? »
C’est vrai que l’on parle beaucoup depuis quelques années des pervers narcissiques masculins si bien qu’aujourd’hui, ils occupent tout l’espace médiatique et par extension tout l’espace de réflexion personnelle. Cette figure de l’homme forcément brutal et violent est progressivement devenue un stéréotype, faux mais très présent, comme si seuls les hommes étaient capables de tels comportements. Mon expérience professionnelle en tant que thérapeute me montre qu’il n’en est rien. Certaines femmes aussi à leur manière investissent le champ de la manipulation et de la violence.
« Est-ce difficile de vulgariser un sujet aussi tabou d’autant plus que cela peut aussi se retrouver ou se dupliquer dans des situations liées au monde de l’entreprise ? D’ailleurs par rapport aux témoignages que vous avez-vous pu recueillir, ces femmes sont-elles plutôt des femmes aux foyers ou sont-elles plutôt de type carriériste ? Ces personnes sont-elles conscientes de leurs actes profonds et de leurs conséquences ? »
Le mot « tabou » que vous utilisez est très juste. Lors de mes recherches préparatoires je me suis aperçu que peu de statistiques françaises étaient disponibles concernant le nombre véritable d’hommes maltraités par leur compagne. Lorsque ces chiffres existent, ils sont souvent fantaisistes et détachés de toute réalité. Ainsi, j’ai dû me tourner vers des pays plus en avance sur le chemin de la reconnaissance d’actes féminins violents, tel que la Suisse, la Belgique et le Canada qui produisent des études et des statistiques fiables car apparemment dégagés de toute attitude idéologique. Dans le même ordre d’idées, la seule association française qui soutenait les hommes brutalisés par leur compagne a disparu faute de soutien. Il s’agissait de l’association SOS Hommes Battus fondée par Sylvianne Spitzer. Pour ce qui est du monde de l’entreprise, il est difficile de faire un parallèle avec ce qui peut se passer au sein de la famille, par exemple. En effet, les femmes violentes redoutent la publicité. Pour pouvoir se perpétuer, leurs brutalités doivent rester cachées. C’est pourquoi ces femmes adoptent une conduite des plus lisses à l’extérieur. La plupart semblent parfaitement adaptées socialement et leur entourage ne s’aperçoit généralement de leurs turpitudes que lorsqu’elles ont investi une violence qui ne peut plus être masquée. Les femmes qui cèdent à la violence n’appartiennent à aucun milieu ou classe sociale particulière. Je connais des femmes issues de milieux très favorisés qui sont dans ce cas.
« Depuis quelques mois, on assiste à l’apparition de stage de masculinité afin que certains hommes puissent se réapproprier leurs virilités ? Est-ce là, la résultante d’une société qui est basée de moins en moins sur un schéma patriarcal et où les femmes souhaitent être valorisées à leur juste titre tout en étant moins dépendante des hommes à la fois émotionnellement et financièrement parlant ? »
Je pense, au contraire, que les sociétés occidentales, restent grandement marquées par le pouvoir des hommes. Par le pouvoir de certains hommes seraient plus juste. Cette main mise masculine provoque des flambées d’agressivité de certains groupes qui se disent féministes mais qui à, mon sens, par leur position idéologique et radicale desservent la cause des femmes qui souhaitent, à juste titre, accéder à plus de justice. Nous avons moins besoin d’égalité –mot a la mode que l’usage intempestif a vidé de son sens – que de reconnaître les particularités et les sensibilités de chacun.
« Que l’on soit homme ou femme pour certains(es) arriver ou accéder au pouvoir, c’est acquérir cet emblème de toute puissance. Doit-on supposer que derrière chaque dirigeant la limite n’est jamais bien loin pour se transformer en véritable tyran destructeur de vie ? Quels sont les signes avant-coureurs qui nous feront comprendre que l’on commence à emprunter ce mauvais chemin ? »
Le pouvoir, au sens large, implique de grandes responsabilités. Malheureusement, dans l’entreprise, le système économique capitaliste utilise souvent les êtres humains comme valeur variable ajustable. De là à dire que les dirigeants d’entreprises sont tous des dictateurs en puissance constitue un pas que je ne franchirai pas. La perversion et la manipulation marchent de conserve. Aussi je dirai que c’est la tentative d’inverser, de tordre les valeurs établies qui marque l’entée dans les systèmes de manipulation. Le pervers manipulateur veut à toute force nous faire croire que nous ne sommes rien sans lui et utilise pour atteindre ses buts, tous les moyens à sa disposition, y compris les plus bas et les plus vils. J’emploie le mot « système » car un individu isolé ne peut seul se comporter comme un tyran. Il bénéficie forcément de complicités. Ces complicités émanent aussi bien de la société et des groupes formés que des individus et sont plus ou moins conscientes.
« De manière générale, lorsque l’on a affaire à ce type de personnage (homme ou femme confondu) : arrive-t-on réellement à sortir de cette spirale infernale et à se reconstruire après avoir subi des humiliations répétitives de diverses formes ? Ne garde-t-on pas ancrer d’une certaine manière cette impression d’être écorché vif à tout jamais et cette crainte constante de retomber sous l’emprise de ce même type de personnage ? »
Il est important de savoir et de faire savoir que ces situations extrêmes ne constituent pas une fatalité. Cependant, il convient d’envisager clairement les choses des deux points de vue : celui de l’agresseuse et celui de la victime. Même si sortir de l’enfer constitue un vrai défi émotionnel, psychique, social, économique, souvent judiciaire, je ne connais, à ce jour, aucun homme qui n’ai réussi à surmonter ses peurs et ses immenses difficultés. Dans tous les cas dont j’ai pris connaissance directement ou qui m’on été rapporté par des confères et des consœurs, les hommes qui ont été malmenés ont réussi à recouvrer une vie agréable et harmonieuse. Certains affirment n’avoir jamais été aussi satisfaits de leur existence. Nombre d’entre eux retrouvent un lien avec leur famille, leurs amis, leurs enfants. Bien sûr des traces psychiques restent présentes chez eux de longues années mais cependant sans parvenir à influencer leur vie par trop négativement. Une fois que le travail qui s’apparente souvent à un deuil est terminé, les risques de retomber dans les griffes de telles personnes est réduit à zéro. Pour ce qui concerne les agresseuses, les choses sont plus complexes car ce sont des femmes qui, pour la plupart, refusent de reconnaître leur rôle néfaste. Lorsqu’elles consultent tout de même un thérapeute c’est généralement sous le couvert de la plainte d’être elles-mêmes malmenées ou brutalisées par un, voire des hommes. À partir d’un certain stade de maltraitances qu’elles font subir il est extrêmement difficile pour elles de reconnaître les faits et de se mettre en cause directement. Une certaine forme de dénégation dirige ces mécanismes particuliers de défense. La prise en charge de ces femmes est beaucoup plus ardue dans la mesure où leur démarche thérapeutique manque d’authenticité.
« On parle de plafond de verre que beaucoup de femmes n’arrivent pas à briser. On chuchote aussi que les femmes entres-elles se déchirent et peuvent avoir des comportements peu recommandables ? Pensez-vous que certaines peuvent revêtir volontairement cet habit de perverse narcissique de peur de retomber au bas de l’échelle ? »
Je ne pense pas que la perversité soit envisageable comme un simple rôle que l’on aurait le loisir de jouer à notre convenance dans certaines circonstances et à certains moments de notre existence. Au risque de choquer certaines femmes et quelques hommes aussi, je dirai que dans certains contextes, certaines femmes sont capables de plus de dureté et de brutalité que la plupart des hommes. Cette affirmation vient remettre en cause l’image quasi-sacrée de « La Femme » uniquement bonne, maternelle et bienveillante associée en grande partie à la figure de la Vierge Marie mais aussi celle, caricaturale, de la virilité brutale et forcément destructrice. Ainsi les couples homosexuels féminins ne sont pas épargnés par la violence conjugale, loin de là. Il est long le chemin qui nous amènera à nous considérer, les uns(e)s et les autres comme des êtres humains quelquefois différents mais tellement semblables dans nos aspirations fondamentales. Aragon affirmait que la femme est l’avenir de l’homme. Combien est profonde cette proposition et porteuse d’espoir si l’on veut bien la méditer quelques minutes...
Propos recueillis par Virginie Lebeau - Tous droits réservés pour Femmdoubout